Visite au Courtil de Quincieux - Ferme d'avenir

Tribune d'artisan

Publié le 05 mars 2024

Laetitia Chalandon

À l’occasion de la série j’ai une minute pour vous faire aimer les légumes je choisis de me rendre dans une ferme, à la fois pour vous présenter les légumes de saison, et pour vous emmener en visite sur le terrain. L’occasion de découvrir la vie agricole, dans sa diversité et ses aléas.

Faire naître une ferme

Une vocation à double sens

Le Courtil de Quincieux, c’est une jeune ferme. Elle a tout juste un an d’existence ! Installée sur des terres agricoles qui existaient avant elle, c’est l’histoire d’un démarrage, de collectif et de reconversion dont il est question ici.

Si vous avez lu les derniers articles* du mois de janvier, vous avez pu vous familiariser avec les défis auxquels le modèle agricole est confronté aujourd’hui et pour les quinze prochaines années. J’en rappellerai deux : le départ à la retraite de la moitié des agriculteurs d’ici à dix ans et la difficulté de reprise des fermes.

Le Courtil de Quincieux s’inscrit dans cette volonté d’apporter des solutions économiques durables, prenant en considération l’avenir des fermes, comme celui des travailleurs.

L’agriculture doit susciter des vocations et donner envie. Nourrir la population, c’est tout aussi prestigieux que de la soigner et de l’éduquer. Savoir cultiver des denrées est un art et requiert un savoir-faire, une capacité considérable à «lire» et «comprendre les écosystèmes». Alors pourquoi ce métier devrait-il être mal payé, piégeant et aliénant ? Comment le rendre attractif, digne et reconnu ?

Construire son activité

Nicolas est agronome depuis dix ans. Il parle vite. On sent que ça fuse dans son esprit et qu’il accorde une grande importance à ce qu’il fait. Il avait pour projet de s’installer progressivement autour d’un projet collectif. Et puis, il y a eu l’opportunité de reprendre cette ferme de huit hectares à Quincieux (1 ha = 10 000 m²). Les propriétaires, une famille présente depuis deux à trois générations faisaient du maraîchage, des arbres fruitiers et des céréales. Les enfants ne souhaitaient pas reprendre, les parents partaient à la retraite. Nicolas n’a pas racheté les terres. Elles lui sont louées.

Son ambition était de diversifier les activités de la ferme tout en s’appuyant sur l’existant. Il s’est formé à l’arboriculture et a recherché des associés. Il n’avait jamais géré de ferme auparavant. C’est arrivé vite. En janvier 2023, il ouvre une structure juridique pour tester le collectif. Trois personnes le rejoignent : Camille, qui s’occupera du maraîchage, Julie avec un projet de plantes aromatiques et médicinales, Johan est apiculteur. Les activités des filles démarrent tout de suite. Les arbres n’aiment pas la reconversion en agriculture biologique. Ils doivent réapprendre à se nourrir seuls. Le taillage aussi est différent. Il leur faut deux à trois années pour s’adapter et c’est compliqué.

Ils ont de quoi s’occuper avec les autres ateliers dont le collectif, l’administratif et le financier font partie. Stabiliser avant de se développer, faire des choix.

«Je suis très conscient des difficultés. Et c’est pourquoi je me demande, comment mettre en place les éléments pour faire durer le plaisir dans le métier.» - Nicolas

Œuvrer pour l'avenir de la filière

As-tu trouvé comment mettre en place ces éléments ?

Nicolas : «_Ne pas être poings et pieds liés. Le modèle agricole n’est pas adapté pour évoluer. Il est figé dans un mode de vie unique. Toutes les aides convergent dans ce sens. Et ce n’est pas facile d’en sortir, car ça demande de renoncer, de naviguer entre les aides financières. L’aspect collectif et la diversité de production, c’est pour nous un moyen de faire perdurer la ferme dans le temps. Ces modèles sont pérennes parce qu’ils pèsent moins lourd sur nos épaules. Quand tu es seul et coincé, tu continues et tu t’épuises. À plusieurs, on répartit la charge mentale. Si demain, 20% de nos effectifs sont absents, ça ne change rien à la production. On a donc imaginé une structure avec de la formation permanente pour fabriquer des experts plus rapidement.

Chacun est responsable de son atelier, mais tout le monde participe à l’ensemble de la production. Dans un modèle classique, la famille, les voisins agriculteurs, tout le monde se donne un coup de mains. Mais dans notre cas, il faut progresser plus vite, se mettre en réseau pour apprendre. C’est pourquoi la structuration du collectif est un « atelier » à part entière. Dans un schéma traditionnel, on vit souvent sur la ferme, et la frontière entre le privé et le travail n’existe pas. Là, on doit apprendre à travailler et prendre les décisions ensemble. Ça demande une organisation et des outils spécifiques.

La SCIC Société Coopérative d’Intérêt Collectif permet de créer un capital pour la structure, pas pour l’exploitant (retrouvez plus de précisions dans l'article "Quel avenir pour l'agriculture" au chapitre "Comprendre les modèles économiques au service de l'humain : les SCOP et les SCIC").

On pense à la transmission avant d’envisager la production. Cela permet aux porteurs de projet de s’investir durant dix ou quinze ans, en leur offrant la possibilité de partir, de changer très facilement.

Les heures sont rémunérées. On n’attend pas la retraite et la vente du capital pour enfin respirer et vivre dignement. D’autant plus qu’aujourd’hui, les fermes sont trop grandes et coûtent trop cher pour être reprise par des petits. Notre modèle permet une arrivée et un départ plus fluide, sans créer de piège financier.

Les Fermes Partagées ont eu un effet levier et moteur dans la réflexion, avec beaucoup d’apports et de réseau. La Métropole tente d’accompagner cette nouvelle forme d’agriculture et ce soutien est important, mais doit être repris par le législatif. Nous avons un vrai besoin de diffusion et de vulgarisation. Car si on vise la durabilité sur le long terme, les démarrages sont incertains, car insuffisamment soutenus.»

Nos clients ne viennent pas pour notre modèle économique et social, mais avant tout parce que nos produits sont bons et cohérents. - Nicolas

"J’ai toujours eu envie de faire ce métier. Et peur aussi. Je cuisine beaucoup. Et la qualité des produits est importante. Et puis, cultiver un paysage, participer à le façonner, observer les oiseaux et voir les évolutions, c’est un puissant moteur."

L’échange a duré une dizaine de minutes, entre deux cafés. J’ai noirci un cahier que le relis avec peine. J’aimerais vous transmettre cette dynamique, cet élan qui se dégage de Nicolas. Il a la joie d’expérimenter un système vertueux et crédible, qui fait ses preuves depuis quelques décennies. Et l’immense découragement dû à un modèle législatif inadapté à son déploiement.

Une ferme en hiver - Parcelle de choux sous le givre

Camille, c’est l’histoire d’une reconversion professionnelle. Elle est responsable du maraîchage au Courtil.

«_ Avant, j’étais technicienne de laboratoire, recherche en cancérologie. À force, plutôt que de chercher des médicaments, j'ai préféré arriver avant. C’est-à-dire nourrir les gens sainement et éviter certains cancers. On les développe de plus en plus jeune et ce n’est pas normal. Pour moi, l’environnement est très lié à ça. J’ai des grands-parents qui étaient agriculteurs. Et je crois que tout ça mélangé, j’ai voulu reprendre les études et devenir maraîchère ! Tout simplement.» - Camille

Visite de l'atelier maraîchage avec Camille

Camille, large sourire prépare l’espace de vente directe du mardi soir à la ferme. L’occasion d’échanger avec les mangeurs du coin. Au cœur de l’hiver, les soirées bleutées et glaciales sont éclairées par la chaleur jaune des projecteurs de chantier. L’odeur de bois, de poussière de paille et de terre battue délie les langues. Un sentiment de connivence, de lien se crée. Ils ont proposé à d’autres producteurs de venir compléter le point de vente. Tout le monde y gagne : les clients avec une diversité de produits, les producteurs avec une livraison unique et quantitative.

Mais pour l’heure, le jour est blanc, givré. Alors, que fait une maraîchère un 16 janvier aux alentours de 10h du matin ? Camille achève de préparer ses courges. Le ramassage des légumes pour l’étal a eu lieu ce matin. Elle a pris de l’avance du fait de notre présence en installant son banc, mais elle a gardé quelques trésors à cueillir avec nous. En l’occurrence, de la mâche, des choux frisés et des choux-fleurs. Sont installés céleri rave, brocolis, courge, choux rouge et vert... Et bien entendu, les hydrolats de Julie qui sont l’un des ateliers du Courtil. L’eau florale est extraite des plantes aromatiques et médicinales cultivées à la ferme (courte présentation ici).

Avec son chariot derrière elle, Camille nous guide jusqu’aux cultures. 3000 m2 de terrain. Une grande serre et plusieurs parcelles attenantes. Nous passons devant le verger. Une formation d’arboriculture y est accueillie et à laquelle participe Nicolas. Nous l’apercevons de loin, en compagnie de six ou sept autres stagiaires.

Malgré sa morsure, la présence du froid est rassurante. Une semaine de gel et des températures négatives. Enfin !

La terre noire est dure, les herbes dressées dans leur parure de gel. Tout est silencieux et scintillant.

Enfin... silencieux... Le bourdonnement modulé par le passage des voitures et des camions sur l’autoroute A46 au loin, rappelle la proximité avec la métropole, avec l’activité humaine. C’est Camille qui fait allusion à ce voisin bruyant : «On a planté une haie diversifiée pour se couper du bruit permanent et bloquer le vent. Nous avons effectué des analyses sur le sol pour s’assurer de sa bonne santé. Et contrairement à ce qu’on pouvait imaginer, nous avons appris que les dépôts retombent très près de l’autoroute.»

Camille ouvre la serre. Pas complètement. Nous nous baissons pour entrer et laisser le froid à la porte. On surprend un petit chat en plein travail. Il s’entraîne à la chasse sur un bâton en attendant que les rongeurs sortent de leur terrier. Une main d’œuvre utile et appréciée !

«_Cet été, il y avait les tomates. Nous les avons arrachées pour laisser place aux épinards. C’est la dernière tournée de trois séries. Et tout au fond, il me reste un petit carré de mâche. Les premières mâches ont subi l’oïdium (un petit champignon se propageant très vite, qui blanchi les feuilles et ralenti la croissance des plantes).» Inoffensif pour l’homme, mais gênant pour l’esthétique du légume et pour la production. Camille a dû ramasser les plants plus petits qu’elle ne l’aurait voulu. Ils n’ont pas pu bien se développer.

«_ Mais la dernière tournée, elle est magnifique ! S’exclame fièrement Camille. Elle s’installe à genou, sort un petit couteau effilé et coupe la base du plan. Elle retire les petites feuilles jaunies ou mangées pour qu’il soit bien présentable. Elle les dépose délicatement, un à un dans sa caisse. Il n’y aura même pas besoin de les laver.»

Cette année, c’est la première récolte ?

«_C’est ça ! Sur la ferme, on est plusieurs porteurs de projet en cours d’installation ou déjà installés. Cette année, Nicolas, notre collègue qui est sur la partie arboriculture, a ouvert sa structure agricole, pour qu’on puisse démarrer les récoltes. Exister juridiquement et commencer à travailler ensemble. Car on ne se connaissait pas avant. Il était important de vérifier qu’on puisse s’accorder et travailler conjointement. Grâce à ça, on a débuté le maraîchage.»

Sous la serre, Camille récolte les derniers plants de mâche

cueillette de la mâche

Comment vous êtes-vous rencontrés ?

«_Par le tissu associatif qu’il y a dans la région. Associatif et associatif agricole. On s’est rencontré fin 2022 grâce à Johan, notre collègue apiculteur. Nous étions tous les deux dans la même formation BPREA : Brevet Professionnel - Responsable d’Entreprise Agricole, au Centre de Formation et de Promotion Horticole de Lyon-Ecully.

Pour le lancement, on a cultivé une quinzaine de variétés. Je travaillais à mi-temps dans une autre ferme et mine de rien, c’était suffisant. Le choix a porté sur des variétés consensuelles. Rien qui ne sorte de l’ordinaire pour faire des choses que tout le monde mange et aime. Il y a des légumes que je n’ai pas beaucoup vus et je ne me sentais pas de les produire de A à Z. Le fait d’être à mi-temps comme ouvrière agricole sur une autre ferme, m’a permis de me perfectionner sur des cultures que je ne connaissais pas assez bien. L’occasion de poser plein de questions et d’obtenir des retours... très rassurants !»

Nous marchons sur une vingtaine de mètres en longeant la serre et arrivons dans les cultures plein champs. De longues lignes, vestiges de diverses cultures de choux déjà ramassés : choux cabus, choux rouges et verts, choux de Bruxelles. Camille a semé des bandes fleuries sur chaque parcelle de légumes pour attirer les auxiliaires. Elle en prévoit davantage pour l’année prochaine. «Et pour les abeilles de Jolan, ce sera également très intéressant. Les anciens propriétaires faisaient des céréales et on a pas mal de tournesols qui se sont relevés tous seuls cette année. On les a laissés pour les oiseaux. On va faire des haies de tournesol pour les attirer et ainsi, réguler la présence des ravageurs comme la piéride. La larve de ce joli papillon blanc attaque le chou. Cette année, on en a vu quelques uns voler, mais sans grand dégât. On l’explique par la présence des oiseaux et d’autres petits insectes utiles pour nous. Nous allons mettre des nichoirs et des perchoirs à différentes hauteurs dans la haie diversifiée pour attirer le plus d’espèces possible. Notre objectif est de créer un petit écosystème pour favoriser la culture, la richesse et la beauté du site.»

Nous allons chercher les derniers choux-fleurs. «Ils ont été tardifs chez nous. C’était compliqué, car nous n’avions pas encore notre irrigation d’installée et c’était plus ou moins facile de gérer les choses. Du coup, ils sont arrivés plus tard. La croissance est bloquée par le froid et l’absence de soleil. Les choux frisés supportent le gel et demeurent au champ tout l’hiver, comme les poireaux. Les brocolis qui restent n’étaient pas matures pour la récolte. Je les ai laissés en espérant un coup de chaud pour qu’ils finissent de se développer.»

Camille s’appuie sur deux critères pour sélectionner : ceux qui sont gros et ceux qui risquent de s’abîmer. Elle ne peut pas tous les choisir pour ne pas gaspiller. Elle passe une première fois entre les rangs puis une deuxième pour valider ses choix et cueillir. «Côté clients, il y a les habitués, mais c’est relativement calme. C’est pourquoi je ne préfère pas trop cueillir.»

Disposez-vous de sources d’eau sur le terrain ?

«_Oui. On a un puits dans la ferme qui a permis d’irriguer la serre. Il ne s’est pas tari, car il se trouve au-dessus de la nappe phréatique de la Saône. On a de l’eau en sous sol. Ça n’empêche qu’en plein été, quand il fait très chaud, les plantes souffrent à cause de l’évapotranspiration. Celles qui sont capables d’aller chercher plus loin dans le sol sont plus autonomes. L’année dernière, on n’avait pas suffisamment de longueur d’irrigation pour tout arroser d’un seul coup. Cette année, on a pu investir dans un forage et on attend tout le matériel pour mettre en place le système avant la saison.»

Est-ce que la logistique entre le stockage et la récolte constitue une grosse difficulté ?

«_Oui. Car nous n’avons qu’une toute petite chambre froide. À la fin de l’hiver, on ne peut plus conserver au champ, il fait trop froid. Et donc il faut réussir à stocker dans les meilleures conditions pour que ça ne pourrisse pas. Et selon les légumes, c’est faisable ou pas.

Dans l’été, on peut facilement faire trois récoltes dans la semaine voir plus, de tomates, de concombre, d’aubergine. Ces légumes sont fragiles, on peut les perdre très vite. Le fait que nous ayons nos deux ventes séparées de quelques jours (marché de Trévoux et vente à la ferme), ça nous permet de récolter plusieurs fois dans la semaine, de les vendre directement et de libérer de la place.

Sinon ça demande un investissement ?

«_Oui. On doit investir dans une chambre froide plus grande, tout en prévoyant les surcoûts d’électricité. Pour cela, nous avons un projet de panneau solaire. Aujourd’hui, on s’en sort, car nous sommes encore à une petite échelle, mais le jour où on aura un magasin et plus de production, ça ne passera pas. C’est un vrai sujet de réflexion.

On essaye d’être autonome. Le plus possible pour réduire les dépenses. Collaborer et/ou faire des échanges. On a de la luzerne que l’on troque contre des bottes de paille ou du fumier.

On intensifie les partenariats de points de vente. On cherche aussi un restaurateur du coin. Faire une grosse livraison à un seul endroit, sans de temps de vente, c’est optimiser nos forces.»

T’étais-tu préparée à la pénibilité du travail ? Comment as-tu géré la transition ?

«_C’est surtout sur le port de chargement pour lequel je me suis préparée. Je m’étais remise au sport et ça m’a aidé. Au fur et à mesure, les caisses deviennent moins lourdes. Mais c’est très important de se tester en amont comme saisonnier ou en faisant des stages. C’est le moment où tu vérifies que ton idéal soit aligné avec la réalité ! On est notre premier outil de travail.»

Nous relevons la tête, il est 13h. La lumière n’a pourtant pas changé. Nous partagerons le repas ensemble, dans une petite cuisine chauffée par une grosse cuisinière à bois.

On se serre autour de la table, il y a du monde. J’ai l’impression de faire un bon de trente ans en arrière. Observer un collectif de personnes âgées de trente à quarante ans, occupées à mettre des actions concrètes en face de leurs idéaux. Elles intègrent un milieu qui n’était a priori pas le leur. Je me souviens des difficultés d’intégration de mes parents qui n’étaient pas du cru et qui n’avaient « pas le droit » d’en modifier les usages, les codes.

Cependant, la finalité reste la même : nourrir avec fierté la population. Contribuer à laisser la terre derrière soi, accessible et pérenne. Le milieu agricole est profondément meurtri. Mais il est également un vivier de ressources, de talents et de positionnements.

Alors que se souhaiter pour l’avenir de l’agriculture ?