Des luttes À travers les corps avec Bouillon de Cultures
Publié le 31 octobre 2025
Laetitia Chalandon

« Une rencontre pensée pour mettre en lien le public avec des acteurices de terrain, des chercheur•euses, des militantes, des associations et des habitants »
Marie-Amandine Vermillon, directrice de Bellebouffe
Retour de terrain - Festival Bouillon de Cultures
Le 25 octobre dernier se tenait à Oullins au Faitout, Bouillon de Cultures.Un festival coordonné par l'association Bellebouffe, dédié aux cultures alimentaires, pour plus d'inclusivité et de justice sociale dans les assiettes. Une programmation riche de partage avec des ateliers de cuisine géants, des découvertes culinaires, un marché de producteurs, des ateliers d'écriture, et une conférence qui fait l'objet de ce retour de terrain :
"Quand alimentation rime avec injonctions : comment mettre fin à la culpabilisation ?"
Intelligence d'ouvrir le lien à l'alimentation avec le rapport au corps, et plus particulièrement à celui des femmes. « Une rencontre pensée pour mettre en lien le public avec des acteurices de terrain, des chercheur•euses, des militantes, des associations et des habitants » annonce Marie-Amandine Vermillon, directrice de Bellebouffe et qui guidera les échanges. Un angle d'attaque permettant de tirer les fils de l'histoire, de la sociologie, de la médecine, du militantisme pour expliquer la grossophobie, le racisme, le sexisme, la précarité... dans une vision élargie et systémique... et de tisser collectivement, un nouveau canevas de représentations dans notre lien à l'alimentation...
La question de la malbouffe ne vient pas d'un problème d'éducation explique Karine Jaquemart, directrice de l'ONG Foodwatch (engagée contre les abus de l’industrie agroalimentaire) : « C'est l'offre qui choisi la qualité et les prix : soit l’accessibilité des produits. L'ultra culpabilisation des consommateurs est une stratégie de diversion politique. » Et de constater en creux que la très grande liberté accordée à l'agro-industrie, renforcée par son marketing, fabrique une dépendance pécuniaire et affective à une alimentation qui s'avère néfaste.
Les intervenantes décortiquent l'origine des injonctions, pour mieux s'en détacher. Déconstruire les préjugés, observer les habitudes intégrées, analyser notre environnement actuel et historique et mettre en valeur des initiatives de terrain constructives, englobant un maximum d'approches pour mieux répondre aux besoins sociétaux. L'appropriation des sujets est permise pour le public par un format de conférence de proximité en deux temps :
- 50mn de présentation alliant analyses, recherches et témoignages,
- 1h d'échanges en atelier avec chacune des intervenantes en fonction des demandes des participants
Lauren Malka, Autrice, journaliste et podcasteuse s'est intéressée dans son livre Mangeuses : Histoire de celles qui dévorent, savourent ou se privent à l'excès, aux représentations dans la culture historique et artistique : « depuis les interprétations bibliques, on retrouve l'idée que la femme ne peut se gouverner dans le rapport à la pulsion. On infériorise la femme dans l'acte de manger : elle est insatiable, ingouvernable. Il faut donc créer un cadre pour la diriger. » Un héritage qui s'infuse encore à travers les offres de produits alimentaires et de solutions régimes visant plus spécifiquement les femmes. Mais aussi par le peu de représentation féminine dans les milieux de la gastronomie (même si cela tend à évoluer). Alors que pour les hommes, c'est un terrain d'exploration et de créativité.

Dans son livre : Je suis votre pire cauchemar ! Kiyémis prend de la hauteur. « On est dans une prison mentale. Les corps ont été hiérarchisés : celui d'une femme blanche, mince, blonde valide, vaut plus. On a intériorisé que nos corps ne valaient rien. On perd du temps collectivement ! {...} Un système hérité qui peut être déconstruit. On peut les fissurer. On ne verra peut-être pas l'effondrement, mais nous y aurons participé. {...} La joie existe dans nos corps. C'est performatif, mais j'y crois ! »
Ariane témoigne : « L'alimentation est tellement propice au jugement ! Alors qu'on a besoin de manger pour être bien dans sa santé mentale et physique. Quand je pense à la cuisine, c'est l'angoisse. C'est comme si on me demandait d'abandonner ma culture, mon identité. Je dois intégrer des règles dictées : des repas équilibrés, des produits de saison, locaux, bio... comment les proposer aux enfants alors que c'est très cher ? » Une culpabilisation qui s'ajoute à la pile. Avec la caisse de solidarité Calim81, un accès à une alimentation choisie se met en place entre et pour les habitants du quartier.
Kiyémis évoque la difficulté de dealer avec le sentiment de se sentir en dehors : si prendre conscience des injustices permet de déculpabiliser, cela ne les fait pas disparaître. Les mécanismes de domination restent en place et continuent d'être subis.
Lauren Malka le rappelle : « lorsque les progressions dans l'histoire ont été menées par les femmes, elles se sont toujours accompagnées d'un retour de bâton. {...} Aujourd'hui, la pensée que les femmes et la nature subissent une maltraitance jumelle s'impose. Agissons pour des règles alimentaires faites pour nous. »

Céline Bruchet fait ce souhait que la médecine puisse se débarrasser de ses préjugés sur le corps des femmes et parvenir à une action de soin qui englobe l'environnement des patientes avant d'agir sur le comportement. C'est la ligne qui est poursuivie dans le centre Santé Commune de Vaulx en Velin : proposer des espaces d'échanges et de co-construction dignes avec les patientes en partant des possibles, des envies et des besoins individuels avant d'appliquer un "savoir froid".
La richesse des échanges et des regards évoqués en quelques bribes ici, ont posé la question de cette ré-appropriation collective, et ce, par toutes les entrées possibles. Les luttes se rejoignent pour demander de placer l'humain au cœur des directions et non plus à part du système, à part de son environnement. Ne plus voir les corps et les ressources comme des territoires à maîtriser et à exploiter, mais de les considérer et de les protéger dans leur diversité et pour leur richesse.
La soirée va se poursuivre dans un esprit festif avec le banquet et le DJ set. Danser, manger, partager les peines et les cultures pour entrevoir un monde plus solidaire, plus curieux et heureux de vivre ensemble. Ce n'est pas une utopie ni une naïveté. C'est une fierté vécue au quotidien au Faitout. Il n'y a rien de magique ou de facile, il faut se battre constamment, mais les faits sont là et indestructibles : sentir que les alternatives fonctionnent. Elles permettent de se savoir forts, car en lien et en sens.
Bouillon de Cultures s'inscrit dans le cadre du Miam Festival de la Métropole de Lyon. Coordonné par l'association Bellebouffe pour une mise en lumière des cultures alimentaire, de la solidarité et de l'engagement pour faire de l’alimentation un levier de justice sociale, de dialogue interculturel et d’expression citoyenne.
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