A la découverte des algues

C'est la saison

Publié le 27 juin 2025

Laetitia Chalandon

Dans son seau, elle récolte des connaissances. Elle nomme au détour du chemin comme des amis de longue date, chaque espèce par son nom.

L'algue, aliment du futur ?

Lundi 28 avril 2025. Jour de grande marée. Je rejoins Isabelle aux plages d’Erquy, en Bretagne pour une cueillette d’algues. Isabelle avance, son seau à la main. Elle est grande, les cheveux courts, sourire immense, un regard qui porte plus loin, quelques notes de jazz, un jardin et un chat. Un rayon de lune et une existence simple.

Isabelle arpente le littoral depuis une dizaine d'années. Au rythme des vagues, des marées, elle cale le pas de ses bottes dans le murmure du granite et du sable, observant chaque brins de vie et de poésie, cachés dévoilés par le mouvement de la mer. Dans son seau, elle récolte des connaissances. Elle nomme au détour du chemin comme des amis de longue date, chaque espèce par son nom.

L’algue. Promue aliment du futur, en raison de ses hautes qualités nutritives et teneur en protéines. Saveur iodée, s’accommodant de tous les plats, textures étonnantes et propriétés fabuleuses... Oui. A condition de ne pas reproduire des méthodes de pêche intensives et destructrices.  

Alors si nous retirons nos baskets pour plonger la plante de nos pieds dans un sable encore glacé, c’est pour retrouver un peu de lien avec cette beauté simple et ordinaire d’une plage découverte. 

Ici, c’est la mer qui commande. Nous entrons sur ses terres, ses lois, son territoire. Lorsque l’heure sera écoulée, elle recouvrira tout, sans distinction. Souveraine.

A nous de faire que notre passage soit le plus invisible possible.

Isabelle

Les bonnes pratiques de la cueillette d'algues

_ Bonjour Laetitia ! Bienvenue ! 

Isabelle m’a d’emblée donné une carte récapitulative de ce que nous aurons le droit de prendre. Chaque algue est répertoriée, avec les tailles et les saisons autorisées. Comme pour les coquillages, la cueillette d’algues est réglementée. Quelques prélèvements suffiront pour se nourrir une année. Ne pas respecter ces normes expose les espèces et toutes celles qui en dépendent à des conséquences sérieuses. Isabelle me rappelle l’importance de ne pas non plus déplacer ou soulever les rochers. 

_ Il y a beaucoup de vie sous les pierres. A marée basse, c’est instinct de survie pour tous les habitants. Les animaux se réfugient sous les rochers, dans l’humidité. Parfois une mare d’eau est nécessaire. Si on n’est pas sensibilisé aux problématiques de l’environnement, on fait des dégâts. Surtout quand on a tendance à soulever les blocs pour regarder ce qui s'y cache. C'est important de les remettre dans la bonne position - mais pas comme une brute, parce que des fois tu entends le rocher qui est replacé dans un grand fracas, tout est explosé dessous. Bref, quand le rocher n’est pas remis en place, les animaux se retrouvent exposés au soleil et les végétaux, qui mettent plusieurs années à s’installer sur le dessus, se retrouvent face contre sable, sans contact avec la lumière. Tout le monde fini par mourir en quelques heures. L’idéal, c’est quand même de ne pas y toucher, juste d’observer.

Elle recommande également de ne pas s'aventurer à la cueillette sans conseils ni sensibilisation préalable. J'observe l'horizon devant nous. Quelques touristes et vacanciers, venus durant la période de Pâques, profitent des premiers beaux jours de l'année. Il y a beaucoup de monde.

guide des tailles autorisées

guide de réglementation

Frondes et confidences : entre algues et marées

Nous passons la laisse, bande d’algues et de débris échoués et séchés sur le haut des plages. Cap au bas des rochers, vers le large. Nous pénétrons dans des retenues d’eau où de magnifiques formes colorées surgissent. 

Une douce chevelure verte, ondule sereinement, des reflets de soleil dansent dans son mouvement. 

_ Alors, là tu vois, nous avons déjà de l’Entéromorphe. C’est une Laitue de mer. Elle constitue une bonne part des sachets déshydratés. Les algues vertes, il n’y en a pas trente six, démarre Isabelle, trois principalement. Elles se situent sur le haut de l’estran (limites les plus hautes et les plus basses de la marée).

_ Algues vertes, comme celles qui causent les pollutions ? Je n’imaginais pas que l’on puisse les manger !

_ Oui. C’est même très bon. Mais pas quand elles sont sur les plages ! En fait, elles posent problème quand elles ont été arrachées par le vent et les vagues. Elles viennent se déposer en très grande quantité dans les fonds de baies où elles se décomposent. Le dessus va croûter, se dessécher et au-dessous ça va mijoter, fermenter. Si tu crèves la croûte, le gaz appelé hydrogène sulfuré qui est très toxique se libère. S’aventurer sur les plages est alors très dangereux, voire mortel.

_ Du fait de l'activité agricole ?

_ C’est à cause de l'azote. Les fortes pluies agissent comme un lessivage des champs vers la mer, drainant tous les engrais des cultures. Cela constitue une importante source de nourriture pour les algues. Elles se mettent à proliférer. 

A quelques mètres de nous, des enfants crient «on a trouvé de drôle de truc ! c’est tout gluant !»

_ Ils ont dû tomber sur des lièvres de mer ! suppose Isabelle. Regarde Laetitia, il y en a ici aussi. 

J’observe une drôle de forme toute gonflée. Elle ressemble vaguement à un animal mais avec une peau translucide, qui semble végétale.

_ C’est bien un animal, explique Isabelle. Lorsqu’il n’est pas content, il se protège en sécrétant un nuage violet. Il y en a partout. On les appelle aussi limaces de mer. Mais son nom savant est Aplysia, qui donne aussi Aplysie dans le langage courant. C’est un mollusque.

Sous le calme de la surface, chaque espace révèle un univers merveilleux à observer. Une macro de violet, d’orange et de roche, des nébuleuses miniatures se meuvent sur une lente respiration.

_ Allez on avance ! 

Nous pénétrons dans l’eau froide jusqu’au mollet. La masse se déplace entre nos jambes dans un remous bruyant. En Bretagne, poursuit Isabelle, aucune algue n’est toxique ! Si on a un doute, ce n'est pas grave. C’est l’aspect gustatif qui va nous guider.

J’aimerai prendre le temps de me plonger dans ces volumes, d’écouter leur secret mais nous devons nous enfoncer plus loin si nous voulons trouver les algues qui nous intéressent. Le regard d’Isabelle accroche une petite forme plate, presque rouge. 

_ C’est une éponge

_ Une éponge ?! Je ne vois qu’une sorte de lichen plat

_ Ah, celles-ci n’ont rien à voir avec celles que tu connais ! Ce sont les éponges locales. Je les trouve fantastique. C’est un regroupement en colonie de plusieurs individus. Ils s’agglutinent et forment un spécimen plus gros. Ici, de jeunes pousses de Sargasses. On peut les manger quand elles sont jeunes. Ce n’est pas mauvais. 

D’origine japonaise, elles sont arrivées sur les plages dans les années 75 qu'elles envahissent depuis. Elles ressemblent à de petits arbres, «leurs branches» couvertes de «feuilles» oblongues et de vésicules semblables à des fruits.

Nous progressons depuis un bon quart d’heure, évitons les zones plus profondes nous engloutissant jusqu’aux cuisses.

_ Il y a quelques jours, je suis tombée sur une Roussette (petit requin breton) juste ici ! Elle est passée entre mes jambes puis elle est restée là. C’était trop bien ! Elle reprend la marche en sifflant et ralentit le rythme. Les yeux sur les rochers. Elle marque une pause.

Laitue de mer et Sargasse - lièvre de mer - éponge

_ Osmundea pinnatifida, algue Dulse poivrée ! Celle-ci est un petit trésor !

Sa main effleure la surface, dans sa paume, elle isole une petite algue en forme de plume. De son autre main libre, elle attrape ses ciseaux. Les algues ont un crampon, leur unique moyen de fixation. Elles absorbent les minéraux et ce dont elles ont besoin grâce à leurs frondes.

_ Toujours couper,  jamais arracher ! Sinon on la tue. L’algue repousse mais ne peut pas se fixer à nouveau. Exactement comme une plante terrestre. Tiens, goûte !

Elle a une saveur de... poitrine fumée ?! Et légèrement épicée en fin de bouche. Comme la fraîcheur d’un grain de poivre qui parfume encore longtemps les papilles. Cette algue assaisonne les salades et les tartares. Isabelle conseille de les déguster crues pour en conserver les propriétés. 

Dans le roman 20 000 Lieues sous les Mers de Jules Verne, le capitaine Némo offre un repas au professeur Aronnax, constitué "d’algues très apéritives" dont une Osmundea. Elle n’est pas considérée comme plante comestible en France car certains de ses composants sont potentiellement nocifs à haute dose.

Dulse poivrée

Dulse poivrée

Loin des hauts de plage, nous commençons à trouver de la diversité avec la présence de Chondrus Crispus, Petit Sart ou Pioca en vernaculaire. Elle possède la même propriété que l’agar-agar (utilisé en cuisine sous forme de poudre, cette algue est une alternative à la gélatine de porc). La Pioca ne produit pas de gel mais agit comme un épaississant. En la mettant dans le lait, tu la transformes en flan ou en crème dessert ! évoque Isabelle avec gourmandise. Il faut une bonne poignée pour 1 litre de lait.

Tout autour de nous, la vie fourmille. Je tombe sur une ponte escargot Natices. Les œufs sont collés les uns aux autres, dans un cercle parfait, comme une soucoupe percée. Je les ai pris pour un vestige d'oursin.

_ Il n’y a plus d’oursin m'explique Isabelle en secouant la tête. Il y en avait beaucoup dans les années 70-80 mais à cause de la surpêche des professionnels, ils ont complètement disparu. Leur population ayant drastiquement baissé, les derniers ont été emportés par une maladie.

Des œufs de calamar se balancent sous un rocher.

Le paysage change, nous avons pénétré dans les zones des Laminaires, longs et épais rubans pouvant atteindre plusieurs mètres et rappelant le caoutchouc.

_ C’est le Fouet de sorcier ou Laminaire Boréal ! Je les adore !  Elles sont splendides. Mais celles-ci ont été arrachées. Je me demande s’il n’y a pas eu de cueillette car les laminaires qu’on aurait pu voir, ne sont plus là.

Regarde là ! Elle pointe de longs fils élégants. Semblable à des scoubidou. Juste pour la beauté, je trouve ça d’une délicatesse ! Des algues de la famille des Chordaria. C’est magnifique.

Leur texture ferme est agréable, ils se croquent comme des bonbons et ramènent en enfance.

Les Laminaires forment de véritables forêts marines. Certaines sont même comparées à des Séquoias. Elles hébergent toute la vie de l'océan dans une diversité fascinante. Nous sommes sur un banc de sable recouvert par trente centimètres d'eau. Ici ou là quelques îlots de Laminaire, regroupés comme une corolle de rose.

_ Laetitia, je te présente la Laminaire sucrée - Saccharina latissima ou Kombu Royal. Elle est très recherchée pour sa sucrosité. Maintenant, attention : quand on parle de couper une algue, la mesure se fait du pied jusqu’à la hauteur où on aura droit de couper. Pour la Saccharina, il faut mesurer 1m50 à partir du pied. On pourra prélever ce qu’il y a après 1m50. Nous déroulons le long ruban jusqu'à ma tête. Celle-là a le bout abîmé, on la laisse.

Dans le Finistère Nord, elles sont pêchées plus au large à l'aide de bateau. Elles sont principalement utilisées en agroalimentaire et cosmétique pour produire des alginates (E400 à E405). La production française, entièrement bretonne, est de l’ordre de 60 000 tonnes d’algues par an (source CRPMEM de Bretagne)

Elles sont récoltées avec un scoubidou. Une forme de tir bouchon rotatif, entraînant dans son mouvement, un nœud d'algues. Elles sont ensuite arrachées à leur support.

ponte de Natices - œufs de calamar - raie

_ Est-ce que tu remarques une augmentation de la cueillette individuelle depuis que tu arpentes le littoral ?

_ Il y a nettement plus de gens qu’avant. Mais ils se dirigent essentiellement vers les cailloux pour les crustacés et les coquillages. Les algues sont moins attrayantes et c'est tant mieux car par rapport au Finistère, les quantités sont nettement moins importantes. Pour ma part, je fais une voire deux sorties par an. Oh regarde ! Un Syngnathe !

Une forme de trente centimètres vient de se réfugier derrière un rocher. Il ressemble à un hippocampe qui ne serait pas enroulé sur lui-même. Isabelle est heureuse, des hippocampes, confie-t-elle, il n’y en a pratiquement plus. Ce Syngnathe est d'une belle taille !

_ Est-ce que tu a pu observer un changement dans la présence ou l'absence d'espèces d'algues ?

_ Pour la Nori, c’est très clair, il n’y en avait pas à Erquy, ni à Plevenon. C’est la 3e année où l’on constate son développement, en plaque, qui est conséquent. Je ne peux pas le chiffrer.

_ C’est embêtant ?

_ Non je ne pense pas. Il y en a dans le Finistère depuis longtemps. Elle est assez fine et pousse tardivement, c’est la dernière à arriver et c'est pourquoi la législation autorise sa cueillette seulement après le 1er mai et seulement après 25cm depuis son crampon. Elle ne pousse pas avec le froid. Nous avons aussi de la Wakame car elle s’est échappée des cultures.

L’eau frémit à la surface, le courant apparaît soudainement.

Isabelle s'interrompt et se redresse.

_ Allez, on ne traine pas.

Là où l'on pouvait observer tout un écosystème qui se dévoilait dans le calme, tout s'efface. Des vaguelettes rythmées s'agitent à la surface. Nous repartons vers la plage d'un pas énergique et en silence.

Je voulais revenir le lendemain matin pour faire des photos et profiter d’une belle lumière. Isabelle me regarde en souriant ! C’est marée haute demain matin !

Je me joins à son rire, je n’ai pas l’habitude de penser en marée. Ici, la vie tourne autour du rythme de la mer. Accrochée à mon repère de lumière, je prévois de revenir le soir !

Elle se moque gentiment. Eh non plus, le soir, la mer sera de nouveau là. Tu vas devoir venir en pleine journée !

Elle est là, immanquablement. Dans son rythme incarné, immuable. Sans distinction. Elle recouvre nos pas, durant ces trois heures où nous nous frayons un passage parmi la vie souveraine de ce printemps.
Nouer avec le sentiment de liberté dégagé par l’action de laisser vivre.

Et si le bonheur était de retrouver cette profusion ? Cette opulence d’espèces à observer ? Pourrions-nous nous placer au cœur de ce système, plutôt qu’en surplomb ?
Les écrits de François Sarano (docteur en océanographie, plongeur professionnel — on lui doit de magistraux livres et films) me reviennent en écho.

Je retombe en enfance, insatiable d’entendre toujours la même histoire, m’imprégnant de sa beauté, de l’émerveillement qu’elle procure.
Les échelles de valeurs s’effondrent, perdent de leur sens. La hiérarchie entre les espèces devient absurde, incongrue, inappropriée. Une vie pour une vie.
Même celle d’une sardine, même celle d’une pousse de salicorne, aussi insignifiante soit-elle.

Dans cet état de veille, se nourrir revient à prendre simplement ce dont nous avons besoin. Et cela implique de s’organiser, avec des méthodes disruptives.
Nous en avons les moyens, et les outils. Il ne nous manque aujourd’hui qu’une volonté politique plus courageuse.

Sur le chemin de sable, entre la bruyère, des pas s’approchent. Des mollets découverts passent devant moi.

« Les poissons ne votent pas, alors que nous, les anciens, nous votons beaucoup en ce moment. »
Je tends l’oreille, mais c’est tout ce que le vent me donnera de cette bribe de conversation entre promeneurs. Je souris. Je ferme mon carnet.
Pour quitter ce préjugé selon lequel notre avenir sera fait de moins.

Il sera jonché de plus.
Plus de liens, plus de connaissances, plus de créativité et de sens.

Chordaria - Kombu Royal - algue bleue - fouet de sorcier

Conseil de conservation des algues

Rincer les algues séparément pour retirer le sable et une partie du sel car il bloque le processus de séchage

Étendre les algues sur torchon, à l'ombre, idéalement sur étendage. Ne pas les exposer au soleil car les UV altèrent leur qualité.

Une algue est totalement sèche quand elle peut s'effriter sans résistance.

Mettre en bocal hermétique, à l’abri de la lumière. Se conserve un an.

Astuce : Selon l'humidité de la pièce, il est possible de finir le séchage au four, thermostat au minimum et porte ouverte.

Préparation des algues

les réhydrater dans de l'eau à température ambiante.

A déguster crues en tartare, dans les salades... ou cuites en soupe, en ragoût, sautées...

Elles accélèrent la cuisson des légumineuses et donnent un caractère iodé aux préparations.

réglementation pour la récolte sauvage

Aidez les scientifiques à collecter des données en participant à l'observation citoyenne dans le cadre du Muséum d’Histoire Naturelle de Concarneau